"Pour éviter de
livrer au monde ma mine sinistre, je mets le masque : j'essaie devant la glace
un rictus qui plisse mon faciès cartonné comme si on l'avait plongé dans un
bain d'amidon. Avant d'aller dans le beau monde, je vais éprouver mon masque
chez le pharmacien. J'entre, la mort dans l'âme, avec mon rictus, et m'efforce
de paraître l'homme le plus gai du monde... [...] Dès les premiers pas dans le
salon-cocktail, je me sens malheureux, empêtré, incapable de me mettre au
diapason. Mais mon rictus tient bon..." Extrait
du livre
"Le 36ème dessous" commence par une dédicace qui devrait donner
à réfléchir ainsi que remettre en place les idées reçues de certains bien
pensants imaginant tout savoir : "À
tout ceux qui n'ont jamais connu la dépression et qui vous disent : "secouez-vous"."
Cette dédicace est bien évidemment à lire absolument avant d'entamer la lecture
de l'ouvrage. Mais, surtout à ne pas perdre de vue tout au long des pages.
Le personnage, Pierre, est aux prises à un début de dépression dans
laquelle, il nage à contre courant pour maintenir une apparence, mais une
apparence seulement : "Quand au lit
lui-même, il m'est d'autant plus difficile de m'en arracher le matin que je
n'ai plus à en tirer un seul homme mais deux..." À savoir : "Petit a, ex-prix d'excellence, tout
entier dans ma tête... [...] Grand B, fainéant des morceaux choisis, qui fait
l'école buissonnière, tord le bras des élèves modèles et finira à l'hôpital
dévoré par le jeu, le vice, l'alcool, occupe en squatter le reste de mon
corps..."
Deux êtres en un dans un même espace, un même corps ne peuvent que
provoquer des conflits. Entre petit a et grand B c'est une lutte sans merci,
engagée sans aucune égalité et la bataille s'annonce des plus ardues.
Petit a et grand B en sont conscients, mais celui qui "les porte",
Pierre, ne sait plus sur quel pieds danser, car avancer et reculer semblent
avoir échangé leur définition respective.
Le corps avance, néanmoins dans ce moment critique n'est-ce pas à reculons ?
Le corps avance, néanmoins dans ce moment critique n'est-ce pas à reculons ?
À tel point que même lorsque le téléphone sonne, la peur affirme sa place
autant que sa présence : "J'ai
peur en saisissant le récepteur d'être automatiquement happé par la vie que je
fuis".
La dépression, déjà une longue existence !
L'ouvrage révèle qu'à cette époque déjà (1975) : "L'angoisse étreignant [...] sept individus sur dix, C'EST LE MAL
DE NOTRE TEMPS, un corollaire de la vie moderne, saturée de contraintes,
d'interdits, d'obligations". Ce n’est donc pas un mal nouveau.
Nous constatons donc qu'à notre époque actuelle le mal est encore plus
profond et qu'au fil des décennies ce fameux mal s'est amplifié. La dépression
n'a à aucun moment cessé de gagner du terrain dans toutes les couches sociales
et la course continuelle contre le temps ne fait que l'alimenter plus encore.
De mal en pis et de pis en mal, en route vers le meilleur, Daninos décrit
avec un brin d'humour et une bonne dose d'autodérision ce mal qui prend
subitement toute la place et contre lequel il ne parvient pas à lutter, au
point d'en arriver à l'entretenir presque volontairement : "La lecture des journaux me permet, comme je l'espère
secrètement, de broyer du noir à loisir en me livrant sans cesse du combustible
[...] Je trouve dans la presse tout ce qu'il faut pour m'inquiéter davantage".
L'auteur retrace sa descente aux enfers, lente, mais insidieuse et
prenante. Cette torpeur qui entraîne des difficultés même dans les gestes les plus
simples. Cette brume qui le sépare du reste du monde, l'inertie devenant si
imposante rendant la moindre action incertaine : "Il y a des moments où il faut beaucoup plus de courage pour
quitter le troupeau que pour le suivre.
[...] Chaque jour qui vient est le triste frère de ceux qui ont fui".
Cet ouvrage confirme que la dépression est loin d'être une banalité, plus
encore près de quarante ans plus tard. Au point que l'on se sent souvent, dans
une telle traversée, déshabillé au moindre regard : "J'ai l'impression de me déplacer avec un écriteau sur le front".
Comme si tout ce chamboulement intérieur rayonnait à l'extérieur. Et puis,
après un parcours parfois du combattant, accompagné de quelques doses de
prescriptions médicales le bleu du ciel réapparaît, mais pas celui de l'âme,
pour avoir enfin "la tête comme un
point sur un i, et non prise dans l'o [...] J'ai l'impression d'avoir retourné ma
conscience comme un gant".
"Nous avons tous,
dans le crâne une espèce de violon qui s'accorde et se désaccorde" et dont les périodes
peuvent durer plus ou moins longtemps suivant les individus.
Daninos le dit : "N'empêchez
pas le monde de tourner, vous risqueriez de vous arrêter avant lui !"
À bon entendeur !
Marie BARRILLON
Quelques phrases relevées
au cours de ma lecture :
- "Me voilà donc
prêt à vivre normalement et à mourir comme tout le monde."
- "Si Dieu me prête
vie, sans du moins se montrer trop pressé que je la lui rende, j'ai du travail
sur la planche."
- "Si le succès ne
m'a pas tourné la tête, c'est précisément parce que je garde vivace le souvenir
de mes apprentissages."
- "Je me demande
s'il faut crever pour vivre ou vivre pour crever."
- "C'est fou, j'y
pense maintenant, ce qu'il peut y avoir de moment dans la vie où l'on veut en
avoir "le cœur net"."
- "On n'a pas le
droit de tromper le lecteur sur la marchandise, et, si j'ose dire, à plus d'un
titre."
- "Les gens
paraissent bizarres pour peu qu'ils soient seulement aussi curieux de nous."
- "Parfois mon
impatience a bousculé les délais prescrits."
- "Notre tort,
toujours, pour tout, c'est de croire que nous sommes une exception, un cas."
- "TON OEUVRE, si
l'on réussit, TES PETITS GRIBOUILLAGES si l'on rate..."
- "Il y a peut-être
des maux qu'il vaut mieux ne pas prononcer."
- "Je suis dans le
paradoxe comme d'autres dans le textile."
- "On prétend que
de nos jours on n'écrit plus. C'est peut-être vrai dans le sens Sévigné du
terme, mais pour le reste, quel déluge !"
- "L'erreur est de
croire que nous sommes "un cas". Lorsqu'il nous arrive quelque chose
d'exceptionnel, y a gros à parier qu'au
même instant des milliers de nos semblables connaissent le même sort."
- "Jouer le jeu, à
notre époque, ce n'est pas seulement, hélas ! laisser voguer son livre une fois
qu'il est terminé. Non. Il faut lui faire un petit bout d'escorte,
l'accompagner vers la haute mer du public sous peine de le voir noyé dans
l'océan des publications."
Informations sur le
livre :
Titre : Le
36ème dessous
Auteur : Daninos
Editions : Le livre de poche
Prix variables selon les vendeurs d’occasions
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