Nouveau roman : "Elles : le chemin des révélations" à découvrir, ici !

dimanche 28 novembre 2010

Mon frère

"Charlène a pris les commandes. Décidément, cette fille, elle n’a pas fini de me surprendre. Elle est à la fois si tendre et…si battante. Napoléon n’a qu’à rester couché. La mort d’un être cher, il y en a pour qui c’est le couperet : la vie continue à défiler, malgré elle, mais elle a perdu toute sa consistance, elle n’a plus aucun sens. Et puis il y en a pour qui c’est comme un détonateur : ça leur donne la hargne, la rage de vivre. Charlène en est un bel exemple. Cette fille ne se contente pas de vivre, elle croque la vie à pleines dents. Je me cramponne à son bras, je me laisse guider. J’ai confiance. 120…122…124…126. Nous y voilà. Un baiser pour me donner du courage."
Extrait du livre

ILS ETAIENT DEUX…

Théo et Léo étaient deux frères qui s’adoraient. L’un, Léo, faisait des études et ne rentrait que certains week-ends. Le second, Théo, vivait auprès de leurs parents. Trop jeune encore pour quitter la maison. Lorsque Théo implore son grand-frère de rentrer pour le week-end de son anniversaire, tout bascule.

Léo ne souhaitait pas rentrer ce week-end là, il voulait réviser ses cours car il avait des examens qui devaient se dérouler la semaine suivante. Mais, devant l’insistance de son petit frère, Léo décida finalement de faire la route jusqu’à la demeure familiale : "Allez, Léo, arrête de jouer les intello ! Ça te réussit pas ! Je te rappelle que dimanche, c’est mon anni… Et un anni sans toi, c’est pas cool…"

Sur la route du retour à la maison pour ce fameux week-end, contre toute attente, c’est l’accident. Léo est mort sur le coup, le véhicule "encastré dans la glissière de sécurité." Evidemment, Théo commence par culpabiliser car, comme nous l’avons vu, c’est lui qui avait tant insisté pour que rentre son frère : "Je me sens coupable d’avoir tant insisté, d’avoir trop écouté mes désirs. Quelque part c’est de ma faute si Léo est mort, c’est moi qui l’ai tué."

Vu sous cet angle, bien sûr que l’on a toutes les raisons de se sentir coupable. Et ne le serait-on pas à moins, d’ailleurs ? Mais, lorsqu’on aime ce sont les désirs qui l’emportent. Nous ne pouvons pas savoir à l’avance ce que l’avenir, proche ou lointain, nous réserve, sinon il y a bien des choses que nous ne ferions pas.

UN PEU DE L’UN AVEC L’AUTRE…

Au funérarium, avant la fermeture du cercueil, Théo profite qu’aucun regard ne soit posé sur lui pour intervertir sa gourmette avec celle de Léo : "Léo et moi, on a des gourmettes identiques ; seuls les prénoms gravés dessus diffèrent. Et encore, si peu. Jamais personne ne verra la supercherie." Alors, c’est chose faite. Un peu de chacun avec l’autre. Les sentiments l’emportent. On ne peut que le comprendre. Il n’existe pas une personne qui n’ait pas souhaité à un moment conserver quelque objet d’un être aimé et disparu. Théo n’est pas à blâmer.

Soudain, Théo se souvient qu’à l’heure de l’accident, il était en cours de français. Il a subitement ressenti une "déchirure". Il a eu le sentiment qu’on lui "triturait le cœur". Le souffle court, il se sentait mal puis, "la douleur s’est dissipée". Il réalise que quelque chose en lui s’est déclenché au moment précis de l’accident : "C’est peut-être ça, aussi, le lien qui unit deux frères : quand l’un s’en va, l’autre le devine aussitôt". Une sorte de télépathie.

Nous ne connaissons pas toute la complexité de l’être humain mais en tout cas de telles situations se sont déjà vues. Il nous arrive de ressentir des choses que nous ne comprenons pas toujours et en analysant la situation, les rapprochements sont parfois tellement évidents que nous ne pouvons pas les nier.

L’ANNIVERSAIRE…

Pour Théo, cet anniversaire à un goût amer. Il "fête" ses quatorze ans mais ses : "quatorze ans seront marqués au fer rouge". Et puis, "la mort, ça n’empêche pas les traditions". La mémoire est là pour nous éviter d’oublier. Elle est sélective de surcroit et laisse en évidence ce que parfois nous souhaiterions laisser un peu de côté.

Cet anniversaire est probablement un des seuls, sinon le seul, que Théo n’oubliera jamais. Il est ancré dans ses profondeurs intérieures et fera partie de son fardeau de souvenirs. Parce que le mot "Souvenir" ne désigne pas que les bonnes choses malgré la beauté du mot dans sa résonnance.

A mon sens, il devrait y avoir deux mots bien distincts pour désigner ce que l’on ne peut oublier. "Souvenir" pour les bons moments retenus, les beautés qu’ils nous laissent, les sourires qui perdurent. Puis, un autre mot, moins joli pour définir le reste. Ce qui est plus laid, qui laisse des rancœurs et fait jaillir les larmes lorsqu’on y repense. Mais, comme "Souvenir" englobe le tout, il faut bien s’y faire !

L’IRONIE N’EST JAMAIS BIEN LOIN…

Une chanson de Dutronc à la radio joue son ironie, ce n’est pas le bon moment bien sûr ! : "L’ironie ces temps-ci, je ne suis pas fan. Tu m’étonnes que dans notre vie, il y a un cactus. Et pas des moindres. Un qui fait vraiment mal. Un qui nous piquera le cul pendant très longtemps." Mais, un cactus comme celui-ci, on s’en passerait bien, même si on ne le souhaiterait pas à d’autres.

La maman ne s’en remet pas. La douleur est trop imposante pour être effacée et comme rien ne s’oublie, cela mettra longtemps avant de s’apaiser. Cette perte et la douleur qu’elle provoque prennent tout l’espace pour elle : "Des torrents de larmes dévalent le long de ses joues. […] Depuis la mort de Léo, le cœur de ma mère est comme un pneu crevé, il a une fuite de vitalité."

Théo n’apprécie pas ces visites au cimetière, mais il ne veut pas laisser sa mère sans compagnie et affronter seule ces instants. Les pleurs de sa mère rythment les visites, amplifiant du même coup sa propre douleur d’adolescent. Pour lui, ces visites au cimetière ne servent pas à grand-chose sinon à retourner le couteau dans la plaie : "A mon bras, j’ai une vieille femme ratatinée. […] Les sanglots redoublent, ça me fout les glandes. […] deux miséreux dans un paysage lugubre. […] Plus tard, quand je mourrai, je voudrais qu’on m’incinère et qu’on jette mes cendres à la mer. Comme ça, personne ne pourra venir me pleurer. Je hais les cimetières."

Ce genre de réaction est tout à fait compréhensible dans la mesure où déjà adulte le deuil est difficilement supportable, alors adolescent ça l’est encore moins. Tout en sachant qui plus est que personne ne gère ce genre de situation de la même manière.

Malgré cela Théo fait preuve de beaucoup de force intérieure afin de soutenir sa maman au mieux. C’est une réaction admirable de sa part, bien que cela ne soit pas une évidence. Mais, comme tout être humain, il a ses limites.

L’AMOUR, PEUT-ETRE L’ANTIDOTE A LA DOULEUR…

L’ambiance à la maison est de moins en moins supportable. Il n’y a désormais pratiquement plus d’échange, ni de conversation. Chacun s’enferme dans sa propre douleur laissant le silence régner en maître des lieux et attiser les souffrances. Théo ne le supporte plus. Lorsqu’un jour son meilleur ami Yohann lui propose de se rendre à une boum, il accepte avec empressement. Il a besoin de respirer et de laisser derrière lui cet accablement constant qui règne chez lui.

Lorsqu’une fille à cette soirée lui déclare qu’il ressemble à son frère Léo, Théo bascule : "Je dégueule comme je n’ai jamais dégueulé. Ensuite, je m’assois sur le trône et je pleure tout mon saoul. Toutes les larmes emmagasinées ces dernières semaines s’écoulent d’un seul coup. Je suis une fontaine à chagrin." Il craque. Comme tout le monde, à un moment ou à un autre, il fallait que cela se produise. On ne surmonte pas la douleur en la gardant au fond de soi sans jamais l’évacuer de quelle que manière que ce soit. On peut être ou se montrer fort et solide, on reste des êtres humains et comme pour tout rien n’est éternel.

Dans toute cette douleur, les parents sombrent chacun de leur côté. Théo a le sentiment de ne plus exister : "Léo est peut-être mort, mais moi, je suis toujours vivant, j’existe !" Et quoi qu’il fasse, pas une réflexion ne fuse. Pas même une dispute qui serait méritée lorsqu’il sèche les cours sans aucune raison valable. Pourtant, comme il le dit : "Je suis vexé de ne pas m’être fait engueuler, j’aurais préféré me la prendre, cette raclée ! Au moins, ça aurait prouvé que mes parents tiennent un tout petit peu à moi."

Pour l’instant, plus rien ne semble avoir plus d’importance pour eux que l’absence irréversible de Léo. Théo en souffre deux fois plus, d’une part par la disparition tragique de son frère aîné et d’autre part par ce sentiment d’être devenu invisible pour ces parents.

Théo va tenter de se frayer un chemin dans ce dédale de douleur. La rencontre de l’amour sous le nom de Charlène va l’y aider. Il fera également des découvertes sur Léo comme des traces laissées avant de partir. Mais, pas n’importe quelles traces. Celles qui vont le porter loin avec une immense fierté au cœur, mais aussi celles qui permettront de remettre de l’ordre dans cette famille au bord du gouffre laissé par la perte d’un enfant.

Par sa main assidue, l’auteur parvient une fois de plus à nous emmener sur la route de l’émotion.
Un prix raisonnable pour ce joli roman qui saura toucher notre sensibilité.
Nous aurons plaisir à découvrir des poésies au fil des pages.
Ce roman fait également l’objet d’un feuilleton radiophonique en Angleterre et en Nouvelle-Zélande (4° de couverture).

Pour achever cette chronique, je ne résiste pas au plaisir de partager quelques petites phrases relevées au cours de ma lecture :

"Si le temps recouvre les souvenirs, il ne les efface pas."
"Mieux vaut un nouveau départ qu’une existence morne et vide de sens."
"Alors que les vieux s’accrochent comme des fous à la vie, les jeunes prennent leur pied à se détruire…"
"C’est important de récolter l’avis des autres, c’est ce qui permet d’avancer…"
"En réfléchissant bien, la vie, c’est un peu ça : un vaste chantier. Un perpétuel remue-ménage. On construit, on démolit et on reconstruit par-dessus."
"L’amour, c’est du genre vorace, ça a tendance à empiéter sur tout le reste."
"Pour le parisien, le métro, c’est comme le stylo chez l’écrivain, ça fait partie du quotidien."

Marie BARRILLON

Informations sur le livre :

Titre : Mon frère
Auteur : Emmanuel Parmentier
Editions : Grrr…Art
ISBN 13 : 9782913574946
Prix : 15,00 euros



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci pour votre lecture et pour votre commentaire. N'hésitez pas à partager cet article.